Le Minou – Un phare paradis construit comme un enfer

Automatisé depuis 1989, l’âme de la sentinelle du Goulet désormais emprisonnée dans sa tour de granit tourbillonne dans l’escalier en colimaçon. En entrant dans le vestibule, derrière la porte entrebâillée, un sifflement, un frisson vous enroulent. Le courant d’air s’échappe tout là-haut sous la porte close de la chambre de veille. La mémoire du phare s’évapore à chaque occasion et se dilue parmi les brumes et les légendes de la mer d’Iroise.

Collection particulière – Le phare et le pont du Petit-Minou.

Pourtant, le Minou aurait tant à nous raconter de l’aventure des marins, des phares, des ingénieurs, des hommes qui les ont construits. La sécurité de la navigation, du cabotage qu’il fallait améliorer au moment précis de l’atterrissage. 

De l’ingénieur au tailleur de pierres, du forgeron au capitaine des sloops livrant leur cargaison. De la décision prise par la Commission des phares à l’allumage de la lanterne le 1er janvier 1848, dix longues années se seront écoulées.

Bientôt 180 ans que notre vétéran et son complice le phare du Portzic guident les navires vers Brest. Chaque jour et chaque nuit, par tous les temps, la vieille tour est toujours fidèle au poste. 

Les éclats blancs et rouges du Minou, comme les 135 amers principaux de notre littoral indiquent aux navires les routes sécurisées pour arriver à bon port.

« Gouvernez au 068° », « Comme ça », « juste sur l’alignement ! ».

La Bretagne, ses caps aux roches acérées, ses chenaux étroits, ses courants violents arbore à elle seule une cinquantaine de phares opérationnels.

Si ces « Etablissements de Signalisation Maritime » amers indispensables aux navigateurs sont entretenus avec toute la rigueur nécessaire par les services techniques des phares et balises, les phares sont devenus pour la plupart, des tours vides supportant leurs précieux feux de guidage désormais télé-contrôlés.

Victor Hugo écrivait : « il y a les vivants et ceux qui vont sur la mer ». Entre les deux univers, des traits d’union jusqu’à l’horizon. La ronde lumineuse des derviches tourneurs du Finistère et leurs éclats cadencés percent les plus sombres nuits d’hiver. En mer comme à terre, nous avons tant besoin de repères !

Du haut du sentier côtier, en toutes saisons, promeneurs et photographes viennent à la pointe du Minou y admirer le panorama, les tempêtes. La tour et son bonnet rouge feront sur la photographie un bilboquet amusant pour qui aura la patience et le talent d’y superposer en équilibre, un soleil couchant.

Patrimoine et instruments de navigation

Quelques jours seulement et par petits groupes comptés, les journées du patrimoine sont désormais l’occasion pour les Plouzanéens et leurs voisins de découvrir l’intérieur du phare.

Il y a trois ans, pour les premiers visiteurs autorisés à y pénétrer, la surprise fut grande. Salpêtre, peintures et enduits écaillés, l’humidité ruisselle sur les murs de pierre, les lambris ont été démontés. Les placards désormais sans étagère ont été vidés. Celui-ci contenait sans doute les accessoires nécessaires à l’entretien de la lanterne. Le coin d’une feuille de bristol jauni, déchiré y est resté piqué, une punaise rouillée. Dernier inventaire des lampes, becs de rechange, obturateurs nécessaires à l’entretien régulier de la lanterne. Résigné le dernier gardien du phare, d’un coup sec, l’avait sans doute arraché. La fin d’un métier ! Les parquets devenus si ternes parfois semblent fragiles sous les pieds. Ici un entourage de lit. L’ancien cosy nous laisse imaginer la fonction du deuxième étage. Sur la porte d’entrée, une vitre brisée.

Des travaux à envisager- Bureau et chambre du gardien auxiliaire © Yannick Lenouvel

Un phare désarmé:

Le Minou aphone avait perdu sa corne de brume tombée en avarie en 2007. En 2010 La décision des Affaires Maritimes était sans appel, les signaux sonores, bouées à cloches et cornes de brume ne seraient pas remplacées. Les radars de navigation des navires avaient eu raison de sa voix. Ce ne sont pas ses proches voisins qui s’en plaindront ! Les habitants perchés sur les plus proches falaises s’étaient presque habitués à l’écho des longs mugissements du phare. Les nuits des insomniaques étaient parfois, les soirs de brume épaisse, interrompues d’insupportables et réguliers coups de trompette. C’était alors le prix à payer pour une maison avec vue sur l’amer. Que serait une mare sans grenouilles ? Une basse-cour sans coq ? Une mer sans éclat ! Le Minou sans gardien, sans voix se faisait presque oublier à l’exception des marins par l’alignement des phares rassurés.

A l’occasion des journées du patrimoine, le guide discret se réjouissait de l’attention qu’à nouveau on lui portait. Les portes refermées, en attendant l’année prochaine, qu’allions nous entreprendre ? L’état des lieux était constaté !

L’association Les Vigies du Minou fut ainsi crée avec un objectif : Mettre en valeur le patrimoine littoral de la commune. Huit kilomètres de côte et quatre forts dont chacun d’eux fit l’objet jadis, d’un audit détaillé « piloté » en son temps par un certain Sébastien Le Prestre, marquis de Vauban. Et pour les Vigies, le site devenait bien des années plus tard, après ce constat, un projet phare. Évidemment, participer à l’entretien et à la mise en valeur du phare du Petit Minou.

Archives Steven Léonard Winter – Le lit du gardien au deuxième étage.

Pour des bénévoles, venir y travailler était très compliqué. Cela nous laissait cependant du temps pour nous approprier son environnement. Les archives des phares et balises, les cartes marines du Service Hydrographique, les bibliothèques numériques commençaient à livrer leurs secrets aux plus curieux des enquêteurs des Vigies. Julien, notre président et Miguel montaient en même temps un projet pédagogique. Des contacts étaient établis avec les responsables et administrations supervisant le site : Le conservatoire du littoral, Brest Métropole, la commune de Plouzané, la Dirm Namo (Phares et Balises), la Région Bretagne, le conseil départemental du Finistère.

Malgré la bonne volonté et la motivation des bénévoles de l’association, pour des raisons de sécurité et de conformité des travaux, il nous était interdit d’y passer un petit coup de balai, voire un simple coup de pinceau. Un chantier de cette ampleur devait être assuré par des professionnels habilités.

La clé du phare, la clé du projet

Gagnant-Gagnant : Encadrer des élèves des métiers du bâtiment tout en assurant leur formation, leur sécurité. La conformité des travaux sera validée par les services techniques des phares et balises. Le projet en 2 ans, pour chaque promotion, promet aux élèves de se préparer, en classe, en atelier et sur le terrain, à l’examen qui clôturera leur apprentissage. Une expérience inoubliable et la fierté d’avoir surmonté les premières difficultés de leurs futurs métiers, sur un site privilégié.

Le fil directeur du projet était trouvé et approuvé. Les élèves du lycée Dupuy-de-Lôme de Brest très motivés et biens encadrés allaient nous y aider. Les élèves du collège Saint-Pol-Roux y trouvaient également matière à réfléchir autour de sujets comme la géographie, l’histoire, les sciences, les arts plastiques.

Un projet phare pour les élèves de Dupuy-de-Lôme – © Miguel Estrella Fernandez

Rechercher, comprendre, réparer, transmettre, sauvegarder, instruire, former : Quelques mots clés pour définir les ambitions et projets des Vigies du Minou.

Bien sûr, pour cela, il nous faut …des sous !

Chercher des subventions est un autre métier. Chacun dans l’association, selon ses relations, ses compétences, tend à y participer.

Nous attendons au moment où j’écris ces lignes, une réponse que nous espérons favorable de l’administration fiscale. L’association pourrait être reconnue « d’intérêt général » et autorisée à remettre des reçus fiscaux au profit de prochains et généreux mécènes.

Grace à nos salons « collecte de mémoire », nous commencions à recueillir les souvenirs, les anecdotes des voisins du fort et du phare du Petit-Minou. Par chance, nous allions rencontrer des collectionneurs nous proposant de consulter leurs cartes postales des années 1900 à 1970.

Une dame, très intéressée par notre projet vint nous rendre visite. Nous rêvions d’histoire de gardien de phare, de naufrages et de tempêtes. Yvette vint nous raconter un peu de sa jeunesse : « J’avais une dizaine d’années, mon amie était la fille du gardien de phare du Minou. Il lui arrivait d’inviter des camarades. Au bout de cette pointe la famille était un peu isolée. La houle était grosse ce jour-là », Yvette avait franchi le pont qui relie le phare à la terre en se protégeant des embruns. Il fallait se courber en s’abritant du vent.

Ancrées dans la mémoire collective, les houles du Minou on s’en méfiait. Même si l’on évitait d’en parler, personne n’avait oublié ce drame du 21 juin 1906. Lors d’une promenade scolaire de fin d’année, le premier jour de l’été, la baignade dans une crique aux abords du phare se termina tragiquement par la noyade de quatre fillettes emportées par une lame de fond. Mais Yvette ce jour-là, en courant sur le pont était rassurée. Le gardien vigilant l’attendait près de sa maison.

Exceptionnellement, elle eut le droit de visiter le phare. Le regard un peu vague, Yvette se souvient : « Cela devait être au deuxième étage. Je me rappelle y avoir dormi, invitée par mon amie ». Le gardien de quart cette nuit leur avait bien recommandé de ne toucher à rien. Les cuivres étincelaient, le parquet était ciré, il fallait mettre les patins et puis sur le bureau, il y avait les registres, si bien écrits.

Faute de mémoires de gardien de phare c’est Yvette qui nous invitait à travers ses souvenirs à gravir les 90 marches de l’étroit escalier menant au chemin de ronde. Là-haut, la nuit tombée, sur la pointe des pieds, les phares sur l’Iroise s’allumaient. Les yeux d’Yvette brillaient, le gardien leur expliquait. Vers Brest, derrière nous à l’Est c’est le phare du Portzic. Au Sud les lumières du port de Camaret, un peu plus à droite le phare du Toulinguet. Regardez le ciel vers l’Ouest, toutes les 15 secondes sur l’horizon, vous verrez passer le faisceau du phare de Saint-Mathieu. Déjà éteint, juste un éclat, alors dans sa tête Yvette lentement recomptait 1,2,3 secondes, jusqu’à 15 et hop le phare de Saint-Mathieu tout là-bas à nouveau s’allumait. Yvette et son amie allaient rêver toute la nuit de l’éblouissante lumière blanche et rouge perchée au-dessus de leur tête. Bien des années plus tard, elle n’avait pas oublié.

Quelques références, un peu d’histoire

Jusqu’en 1792, les intendants des provinces maritimes étaient chargés de veiller sur la signalisation encore embryonnaire des côtes de France. La Marine militaire se chargeait de l’entrée de ses propres ports.

Le 15 septembre 1792, l’Assemblée législative confia au ministère de la Marine la surveillance des phares, amers, tonnes et balises et chargea le Ministère de l’intérieur de l’exécution des travaux de balisage et de signalisation.

Un décret impérial du 7 mars 1806 fit passer le balisage des côtes dans les attributions du Ministère de l’Intérieur. (Sources phares et balises).

Vauban bien plus tôt se vit confier la réalisation d’une ceinture de fer protégeant de ses citadelles les frontières du Royaume de France.

Napoléon, plus tard imagina une ceinture de feux sécurisant l’approche des côtes de l’Empire. Il fallait alors développer le commerce maritime.

Le 29 avril 1811, une décision du Directeur général des Ponts et Chaussées institua une « Commission des phares » chargée d’examiner divers projets d’amélioration de l’éclairage des côtes de France. Des priorités devaient être fixées.

La Commission des phares était à l’origine constituée par trois inspecteurs généraux des ponts et Chaussées, trois Officiers de Marine et trois membres de l’Académie des Sciences.

La Commission des Phares, sur proposition d’ARAGO demanda en 1817 que lui fut adjoint Augustin FRESNEL ingénieur des Ponts et Chaussées, déjà connu pour ses travaux sur la lumière.

Augustin FRESNEL révolutionna la technique des phares en mettant au point la lentille à échelons. (L’optique testée et installée sur le phare de Cordouan dans l’entrée de la Gironde en 1823 devait servir de modèle dans le monde entier).

En 1841, Léonce REYNAUD rejoint le Service des Phares. Il deviendra Inspecteur général des Ponts et chaussées. C’est sous sa direction et le concours de Louis PLANTIER que seront édifiés plusieurs phares en Iroise dont le Petit-Minou et le phare du Portzic.

Les Merveilles de la Science – Louis FIGUIER – BNF Gallica

À Brest, la Marine s’impatiente

Depuis plusieurs années, la marine demande une amélioration du balisage pour sécuriser le chenalage des navires dans le Goulet.

En 1839, la Commission des Phares valide enfin le projet. Le phare du Petit-Minou et le phare du Portzic constitueront un alignement de deux amers d’entrée, de jour comme de nuit, à la rade de Brest.

Les officiers d’artillerie et les canonniers de la batterie haute du Minou découvrent dans leur viseur et leurs télémètres un projet qui les inquiète. Une grande tour de plus de 20 mètres de haut va désormais se trouver dans l’axe des canons chargés de protéger l’entrée de la rade. Guider les navires vers le port c’est une affaire, mais veiller à la protection des accès de Brest en est une autre. Les canonniers durent s’y résoudre, non sans avoir manifesté discrètement leur mécontentement.

Un peu d’ordre parmi les phares

Afin d’organiser cette ceinture de feux, l’administration classa les phares selon la distance à laquelle ils doivent être aperçus par les marins lors de l’atterrage (atterrissage). 1,2,3,4,5, le Minou est un phare de troisième ordre. Sa portée initiale théorique devait donc être de 14 milles marins. Les gardiens de phare les classèrent, forts de leurs expériences, selon d’autres critères. Naissaient ainsi au cours de leurs carrières et des plus rudes tempêtes d’hiver, les « Enfers », les « Purgatoires » et les phares « Paradis ».

Le Petit-Minou, relié à la terre par son grand pont enjambant les trois rochers de cette pointe jadis redoutée, est un phare « paradis ». Il a cependant la particularité d’être construit comme un phare en mer.

90 marches pour accéder à la lanterne © Yannick Lenouvel

On évoque à l’occasion un « paradis construit comme un enfer ». L’ingénieur qui édifia ses plans, s’inspira dit-on, d’une tour de guet avec à son sommet un large chemin de ronde. Le cahier des charges, compte-tenu de la position stratégique sur le Goulet prévoyait, peut-être, d’y faire cohabiter des sentinelles militaires et les gardiens de phare.

Un témoignage inespéré

A l’heure du numérique et d’internet, les furets des Vigies, confinés confortablement derrière leur fenêtre, trouvaient le temps long. Que dire du gardien de phare du Minou qui passa, en 1918, plus de trois mois au milieu du Raz de Sein! 106 jours où il restera bloqué au phare de la Vieille. Le canot, en raison de l’état de la mer, ne pouvait assurer la relève.

Le transbordement aurait pu s’effectuer le 105ème jour, le 11 novembre 1918 !

Premier jour d’accalmie pour bien d’autres soldats aussi. Le gardien de phare, confiait au journaliste de la Dépêche de Brest : « La veille était jour d’armistice. L’équipage du ravitailleur n’avait pu s’arracher à la liesse générale  » . Le Robinson Crusoé qui n’avait pour royaume qu’un phare planté sur un rocher, apprit ainsi la fin de la guerre. Au rythme des marées, des jours et des nuits, le temps pour lui s’était écoulé, isolé au milieu des maelströms du Raz de Sein et de l’histoire.

Yves Marchand, c’était son nom, gardien-chef du phare du Minou depuis quinze ans. Il y était affecté depuis 1924. Il savait de quoi il parlait lorsqu’il racontait « les enfers ». Presque impassible cependant, il évoquait : « Les tempêtes qui brisaient la monotonie du métier même si parfois, ça cognait fort ». Un jour à la Vieille, la mer était si forte que toutes les vitres des étages avaient été brisées. À chaque vague, les paquets de mer cascadaient dans la tour. Le gardien de phare reprenait son souffle et poursuivait. Même au Minou, il faut parfois supporter de rudes assauts. Quand une tempête coïncide avec une grande marée, je dois chausser de hautes bottes pour gagner le phare. Entre les muretins de protection, l’eau roule sur le chemin d’accès. Dans la nuit du 22 au 23 janvier, les vitres malgré leur épaisseur ont été brisées et la salle des machines inondée ».

1938 – Le Minou est électrifié mais gare aux coupures – Le gardien veille

Ce 5 mars 1939, alors qu’Yves Marchand gardien-chef, se prépare à partir à la retraite, la dépêche de Brest titre en caractère gras: « On électrifie la signalisation du Goulet » et en sous-titre: « 106 jours isolé dans un phare ». Comparé aux « Enfers », le Minou malgré quelques belles tempêtes prenait, après ces récits, des airs de « Paradis ». Eugène Kerfrident allait prochainement quitter le phare des Pierres-Noires pour prendre son nouveau poste au Minou. Les deux gardiens ne se doutaient pas encore, en ce printemps 1939, malgré le bruit des bottes, que le paradis du Minou aurait bientôt sa part d’Enfer.

Un phare dans un fort

Respects aux marins, aux soldats, les historiens me pardonneront, je vais en oublier. De juin 1940 à septembre 1944, l’armée allemande occupe Brest et le fort du Minou. A la libération, le fort y laisse deux tours, Est et Ouest, bombardées.

L’environnement du phare du Minou sur ce littoral et sur la rive opposée est depuis des siècles, un véritable repaire de canonniers. Les batteries disparues aujourd’hui sous la végétation dissimulaient d’énormes canons comme ceux des batteries de 320 mm dites de rupture. Les tirs croisés des quatre forts de Plouzané et des six de la Presqu’île de Crozon, Cornouaille et Léon n’attendaient qu’un signal pour envoyer par le fond, les navires ennemis qui se seraient engagés, bien imprudemment, dans le Goulet. Les socles d’ancrage des quatre canons de 47 mm à tirs rapides témoignent de l’importance de ce site avancé. L’un d’eux est encore visible au pied du phare.

Deux gardiens pour un phare

Emile Allard – 1889 – Les phares – Histoire – Construction – Eclairage

Dans son recueil de l’histoire des phares, Emile Allard en 1889 nous révèle que la construction du phare du Minou en 1847 a couté 50 000 francs et que deux gardiens y sont toujours affectés.

Le Petit-Minou offre aujourd’hui 6 niveaux auxquels on accède par un étroit escalier de granit en colimaçon. Chacun de ses étages est vouté et montre l’habileté de l’architecte et des tailleurs de pierres. Les maçons ajustant au plus haut, en clé de voute, les blocs de granites roses de Laber avec les Kersantons noir de Logonna.

Au rez-de-chaussée, le vestibule permettait d’y entreposer un an de combustible nécessaire à l’alimentation de la lampe. Tout d’abord de l’huile végétale puis les techniques mises au point améliorèrent la portée des phares grâce aux lampes à vapeur de pétrole. La pression et de mauvais réglages pouvait transformer ce système en dangereux chalumeau. Un brûleur qui s’enflammait et c’était des risques d’incendie et des heures de travail pour nettoyer les suies noires. Il faudra attendre 1938 pour que la lanterne soit électrifiée.

Le faisceau lumineux d’une petite ampoule LED de 250 watts traversant le prisme de la lentille de Fresnel permet aujourd’hui au phare du Minou de projeter son secteur de guidage jusqu’à 22 nautiques, environ 40 km vers l’Ouest pour les navires entrant.

Chaque phare ayant des caractéristiques particulières, afin de ne pas le confondre avec ses voisins, le Minou émet deux éclats blancs toutes les six secondes. Sa position judicieuse choisie au bout de la pointe rocheuse, dangereuse pour la navigation, permet aussi de lui adjoindre un secteur coloré. L’un des panneaux qui constitue la grande verrière est teintée de rouge. Le rayon de lumière de la LED, comme le soleil à travers un vitrail, projette vers l’Est, 2 éclats rouges toutes les 6 secondes pour signaler un plateau rocheux au milieu du Goulet.

Deux éclats blancs et rouges toutes les 6 secondes – © Yannick Lenouvel

De l’origine des noms de lieux

Les Feuillettes, les Filettes, les Fillettes, si le toponyme a évolué sur les cartes marines au cours des siècles, les sentinelles naturelles qui veillent sous les flots ont fait réfléchir plus d’un envahisseur venu de la mer avant qu’il n’engage contre vent, courants et marée une escadre dans la partie la plus resserrée du Goulet. Les dents des « Fillettes » affleurent aux grandes marées basses. Gare au marin imprudent qui viendrait s’y frotter.

Pour les marins les plus étourdis qui pourraient l’oublier, une phrase mnémotechnique se murmure encore sur les pontons. On dit en clignant de l’œil que le Minou serait un peu timide et qu’il rougit lorsqu’il voit passer les Fillettes. Gare à leurs griffes sous-marines gare à leurs dents. Le navigateur prudent restera bien au milieu des chenaux.

Puisqu’il est question de toponyme, d’où viendrait ce nom de Petit-Minou ? Peut-être parce qu’il y a tout à côté, à quelques encablures, vers l’Ouest, une pointe du Grand-Minou ? Peut-être parce qu’avant l’édification du phare, au bout de cette pointe, il y avait trois rochers aujourd’hui enjambés par le pont ? Le nom de lieu commencerait-il à nous révéler son secret ?

J’ai trois mots de Breton dans mon sac de marin alors, je ne ferai pas le malin. L’amiral Thévenard dans ses « mémoires relatifs à la marine » en 1799 s’était déjà posé la question. L’officier de marine affecté au port de Brest avait entrepris de vérifier les chenaux, les sondes, les roches qui tapissaient alors les approches de la rade de Brest. La sécurité nautique des navires était une priorité. Il s’attacha également à rechercher l’origine des toponymes et des dangers signalés.

Des noms de lieux transmis de génération en génération, jusqu’au premier cartographe qui les nota sur un plan parfois phonétiquement. C’est ainsi qu’au cours des âges et des retranscriptions, quelquefois maladroites, Les Feuillettes, les Filettes deviendront les Fillettes.

Afin de poursuivre cette campagne hydrographique, restons à bord de la chaloupe dans l’environnement de notre phare. La Mengam et le fort tout proche du Mingant, les sources de l’amiral Thévenard l’invitent à retrouver des racines celtes ! « Moen-can » viendrait de : pierre et de canal. La pierre au milieu du canal, telle la balise de la roche Mengam séparant le Goulet en deux passes étroites. Au Sud, la passe des vaisseaux de Cornouaille et au Nord la passe des vaisseaux de Léon.

Poursuivons, Toull-Inquet: La fosse étroite, voilà aujourd’hui notre pointe et notre chenal du Toulinguet. Et le Minou parmi ces noms qui trouveraient leur origine chez les anciens peuples celtes ?

Trois mots de breton dans mon sac de marin alors, avec le dictionnaire de l’amiral, je fais le malin. Un bagad des …. bagadou. Au pluriel, à la fin du mot, on ne met pas un « s » mais dans certaines circonstances, on ajoute « ou ». Min….. Minou, vous me suivez ? L’amiral Thévenard et son dictionnaire Celte/Breton/Français nous dit : MIN : la mine, le visage, le museau, le bec, la pointe.

Au pluriel MIN devient MINOU. Les pointes du Grand et du Petit-Minou bordent les rives du Goulet. Deux lieux ainsi identifiés, pour un marin qui arrive du large ou, pour le paysan qui y garde son troupeau.

En 1695, voilà ce qu’en dit un autre géographe du Roi, Nicolas de Fer : « Brest, ville considérable de la basse Bretagne, Fameux port de mer sa baye est une des plus belles et des plus sures de l’Europe et son entrée que l’on appelle le Goûlet, très difficile à cause des Minou, des Fillettes et du Mingant qui sont des rochers cachez de haute marée ». Voilà quelques informations utiles qui viendraient confirmer la piste des roches, des pointes et leur transcription toponymique.

Une tour de granite

Si l’intérieur du phare n’est plus en très bon état, la tour est solide comme un roc. Du granite le plus dur, en témoignent les mains calleuses et les outils tranchants des tailleurs de pierres. Côte Nord du Goulet, on ira chercher pour construire le phare des roches de Lanildut, un granite aux reflets rose.  Si réputé pour son grain et sa solidité que les mêmes carrières furent sélectionnées en 1835 pour fournir les pierres du piédestal de l’obélisque de Louxor érigé place de la Concorde. (Source : Georges-Michel Thomas, Le granite de l’Aber-Ildut – Louis Chauris, Les carrières et les quais de chargement du granite rose de l’Aber-Ildut in. Les Cahiers de l’Iroise N° 150 / 1991.)

(Le même granite s’exportait alors outre-Manche. Les quais de la Tamise proviennent également des carrières de Lanildut.).

@ Yannick Lenouvel – Collection TRE-ARZ – Plouarzel

Par esthétisme ou par nécessité de l’assemblage des pierres, peut-être les deux, Louis Plantier l’ingénieur saurait nous le dire, rive Sud du Goulet, pour un phare qui va guider les navires entre les dents de Cornouaille et celles tout aussi aiguisées du pays du Léon, ce sont les carrières de Logonna qui fourniront la célèbre kersantite. Un granit plus sombre et plus tendre à tailler. (Souvent utilisé pour la sculpture des calvaires et édifices religieux)

Des tonnes, des mètres cubes de pierres qu’il faudra acheminer jusqu’au Minou. Tout d’abord, il faudra lancer un pont et son accès de 150 mètres de long. L’ouvrage d’art enjambant au-dessus de la mer, trois rochers immergés à marée haute. En s’appuyant sur la dernière roche, y ériger un phare de 26 mètres de haut. Un nouveau chantier pour les bâtisseurs qui s’attaqueront bientôt à d’autres défis nommés Ar Men, Les Pierres Noires, Tevennec, La Vieille, La Jument de Ouessant, Kéréon.

Un transport des matériaux très risqué

Aucun document retrouvé ne nous permettait jusqu’à il y a quelques jours de certifier comment ces tonnes de pierres étaient parvenues au Minou. En rade de Brest, nous connaissions le bornage, ce transport des marchandises et des matériaux effectués par des sloops et des gabares comme celles affectées au transport du sable coquiller, un amendement marin très utilisé. La kersantite de Logonna fut sûrement acheminée par la mer, à bord de ces navires autorisés à naviguer en rade (le bornage), mais pas au-delà (le cabotage).

D’autres sources historiques témoignent de l’importance du port de Lanildut, notamment dans le transport et le commerce côtier. Du vin provenant de Bordeaux, de la pierre outre-manche, du granit encore vers le port de Brest, ses quais et ses forts. Rien ne venait confirmer parmi les sources des Vigies le transport du granit par la mer vers le site du Minou.

Une vingtaine de kilomètres séparent les carrières de Kerglonou de la pointe du Minou à Plouzané. Pourrions-nous imaginer des convois de charrettes grinçantes tirés par des chevaux sur des chemins escarpés comme jadis, pour éviter les corsaires anglais qui tenaient la mer?

« Larguez partout » Six heures du matin, malgré le jour à peine levé Kermaïdic patron du sloop le Rocher de sa grosse voix vient d’ordonner à ses matelots de larguer les amarres. Il faut profiter de la marée haute et de la renverse, au risque de s’attarder et de s’échouer dans le chenal de sortie de Lanildut.

Cap au Sud, en longeant le chenal du Four, doublant le Conquet jusqu’à Saint-Mathieu. Virer de bord cap à l’Est pour embouquer le Goulet. Dix-huit nautiques à parcourir jusqu’au Minou. Avec le vent et les courants, en quatre à cinq heures, le chargement, le capitaine et ses matelots seraient probablement arrivés.

Oui mais voilà, le Rocher a coulé ! Je vous rassure, par chance, Kermaïdic et ses matelots ont été sauvés. Heureusement pour nous, cette fortune de mer fut consignée dans la presse et 174 ans plus tard, Rémy, notre vice-président a retrouvé un extrait du journal de l’époque parmi les milliers d’articles des archives numérisées.

« Le Conquet : 23 mars 1847 – Le Sloop Le Rocher de Brest, 24 tonneaux est parti hier à 6 heures du matin du port de Loberildut (SIC) Laber-Ildut chargé de pierres de taille destinées pour la construction du phare du Minou (Goulet de Brest) Arrivé à 8 heures en face de Saint-Mathieu à 1 km environ de terre, ce navire a reçu un si violent coup de mer qu’il a presque immédiatement coulé. Le capitaine Kermaïdic et son équipage composé de cinq hommes n’eurent que le temps d’embarquer dans la chaloupe avec laquelle ils parvinrent à débarquer à 11 heures, dans l’anse de Bertheaume. Tous leurs effets comme les papiers de bord ont éprouvé le sort du bâtiment, entièrement disparu. » Source: La Gazette Nationale ou le Moniteur universel du 30 mars 1847 – source BNF https://gallica.bnf.fr

Les chargements de granite des carrières de Lanildut étaient bien acheminés jusqu’au Minou par la mer !

Faute d’illustration ou de photographie, il nous reste à imaginer ces navires de charge embossés au pied des rochers de la pointe du Petit-Minou. Des bigues, des mâts de charge, des cordages tendus à se rompre, des poulies grinçantes transbordant les lourds blocs de granite. L’état de la mer, la houle, le vent qui ne facilitent pas la tâche, le débarquement des pierres était un travail dangereux compliqué certainement par la marée.

Une tour à élever

26 mètres de haut, un escalier desservant six niveaux et puis tout là- haut, la chambre de veille supportant la lanterne et son ingénieuse optique. L’édifice étant parfaitement aligné, au degré prêt, avec un autre chantier qui s’élève à 6400 mètres. Pierre par pierre, le phare du petit-Minou et le phare du Portzic guideront bientôt les navires vers Brest.

Lanildut – Les quais de chargement du granite – © Yannick Lenouvel

Des délais à tenir

Ce mardi 23 mars 1847, au pied de la tour qui s’élève, une rumeur circule déjà. On a aperçu un homme arriver en courant, un contremaître qui levait les bras au ciel. L’ingénieur s’était précipité, le Rocher a coulé, le Rocher a coulé ! Le chargement de pierres que l’on attendait en fin de matinée n’arrivera jamais. Le sloop et sa cargaison gisent désormais par le fond du côté de Saint- Mathieu. On dit que Kermaïdic le patron et ses 5 matelots aurait eu le temps de sauter dans un canot. L’équipage est sauvé mais le chantier va prendre du retard.

À Kerglonou aussi le naufrage a fait grand bruit. Un navire de perdu et toute sa cargaison. Kermaïdic hier soir avait trop chargé ? Peut-être, mais les délais ! Des semaines de travail anéanties. Sans attendre, on attise à nouveau les braises. Entre le marteau et l’enclume de Mellaza le forgeron, les étincelles jaillissent déjà. La vapeur acre lui pique les yeux, d’un revers de manche il s’essuie le front. D’un geste vif, il plonge la pointe rougeoyante du burin juste sorti du feu dans le baril de trempage. Le choc thermique entre le feu et l’eau va durcir la pointe de l’outil d’un tailleur de pierres. Sur les rives de l’Aber-Ildut, reprennent à un rythme cadencé les chocs du fer contre la pierre. Le carrier a empoigné sa cognée, lançant ses bras vers le ciel, d’un coup sec, la pierre s’est fendue, à l’endroit voulu. Les nouveaux délais seront difficiles à respecter.

Plouzané – Le phare du Petit-Minou Sept- 2020 © Yannick lenouvel

Remerciements

  • Rémi de Kersauson,  de la société d’étude de Brest et du Léon qui publie dans les Cahiers de l’Iroise une version de cet article dans le hors série NMR 9 de septembre 2021 (https://www.cahiersdeliroise.org)

Sources

  • Yvette (Avec tous nos remerciements pour ces confidences et souvenirs)
  • Les Cahiers de l’Iroise, n° 150 « Au fil des ans », avril-juin 1991
  • Jean-Claude Jezekel président de l’association Tre Arzh – Plouarzel: Les carrières de l’Aber Ildut
  • Plouarzel Tud Ha Bro n° 28 juillet 2011
  • Recensement des tailleurs de pierre
  • Rémy Salaun (Les Vigies du Minou) : Naufrage du Rocher. – La Gazette Nationale 1847.
  • La Dépêche de Brest
  • BNF Gallica

2 réflexions au sujet de « Le Minou – Un phare paradis construit comme un enfer »

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