Mémoires, patrimoine et ……. confidences
Nous vous invitons aujourd’hui autour de la table à déguster une excellente part de gâteau préparé par notre hôtesse.
Bonjour à tous, qui prendra peut-être une tasse de café ou alors un chocolat?
Qui prendra un café ?
Au salon des Vigies, ce dimanche après-midi, nous recevons Bernard (prénom d’emprunt). Tout le monde est arrivé mais, si vous le souhaitez, glissez-vous parmi nous. Tendez l’oreille, Bernard à travers ses souvenirs va sans doute nous en apprendre un peu plus sur cette intrigante tour que l’on appelle encore volontiers le sémaphore du Minou.
Les Vigies du Minou S. et Y. : Le sémaphore du Minou a été construit en 1960 pour surveiller les approches maritimes du Goulet de Brest. Il est resté en service jusqu’en 1987 date à laquelle ses fonctions furent transférées au sémaphore du Portzic.
A quelle époque avez-vous été affecté au Minou?
B: J’ ai effectué mon service militaire de 1960 à 1962. A cette époque, avec la guerre d’Algérie, le service durait 28 mois.
Les Vigies: Etiez-vous affecté au fort du Minou ou au fort de Toulbroc’h ?
B: Nous étions affectés au fort de Montbarey.
A Montbarey, il y avait une grande station radar. Son antenne de veille aérienne permettait de détecter les avions jusqu’au Sud de l’Angleterre. Il y avait aussi des radars mobiles installés sur des roulottes avec tout le matériel logistique d’accompagnement nécessaire.
Je me souviens, lors d’un exercice, qu’un détachement mobile (SARC) avait été déployé à la Pointe du Raz. J’aurais bien voulu partir avec eux mais j’avais été affecté au fort du Minou. Je devais remplacer un matelot qui terminait son service militaire. Nous nous sommes juste croisés.
Les Vigies: Quels étaient votre grade et votre spécialité?
B: J’étais matelot breveté détecteur. J’avais suivi un cours de formation de deux mois à l’école des détecteurs de la Marine Nationale sur l’île de Porquerolles près du fort de Sainte-Agathe.
J’ai de bons souvenirs de cette période. Après un long voyage en car puis en en train depuis Hourtin et Bordeaux, j’avais embarqué sur une vedette au quai de la Tour-Fondue pour rejoindre le fort où se trouvait l’école. Ma première traversée m’avait paru longue, la mer était agitée.
Les Vigies: Combien de personnes armaient la tour radar du Minou?
B: En 1961, nous étions trois matelots et un second-maître, qui passait nous voir de temps en temps.
Les Vigies: Etiez-vous logés dans la tour ou dans les petites maisons au pied du phare ou à Toulbroc’h ?
B: Le poste du matelot de service était dans le blockhaus. Il y avait deux étages à l’intérieur. A gauche en rentrant après la grosse porte blindée, il y avait une pièce pour les sanitaires. Nous avions l’eau courante mais il n’y avait pas de douche. Une petite chambre avec un lit et de l’autre côté, une salle avec une grande table de travail pour un opérateur.
Je revois bien la pièce, mais attendez, il y avait aussi un coffre-fort. Voilà, je me souviens, dans la crainte d’attentat de l’OAS, nous avions reçu des pistolets mitrailleurs pour renforcer la garde du fort. Le coffre nous servait d’armurerie. Nous allions à Toulbroc’h tirer vers le large pour nous entraîner.
Marins et gardiens de phare
Les Vigies: Aviez-vous l’occasion de rencontrer le gardien de phare? Vous rappelez vous de son nom?
B: Le gardien de phare? Oui, c’était «Gégène» son petit nom, Eugène Kerfriden. Il vivait là, avec sa femme et ses trois enfants. Ils venaient du Conquet je crois. Eugène avait été gardien pendant 20 ans au phare des Pierres Noires puis ensuite à Saint-Mathieu.
Les Vigies: Est-ce que le sémaphore assurait une veille continue?
B: Non, ce n’était pas un sémaphore à cette époque.
Nous étions trois matelots à nous partager la journée et la nuit. Le week-end, nous assurions 24 heures de présence sur le site.
Les Vigies: Lors des tempêtes, l’accès à la tour, tout au bout de la pointe, devait être difficile?
B: Oui, tout à fait. En cas de panne, il fallait pénétrer dans la tour et l’accès avec le mauvais temps pouvait être dangereux. C’était souvent lors de ces gros coups de vent qu’arrivaient les pannes d’électricité. La tour en béton, d’une vingtaine de mètres de haut supportait à son sommet une antenne radar.
L’antenne tournait très rapidement. Je me souviens qu’il y avait deux vitesses de rotation.
Cette antenne était abritée par une coupole. Le dôme était maintenu sous pression par l’air comprimé généré par un compresseur. Je me souviens encore du ronronnement rassurant de ce moteur. Il devait être juste sous la coupole. La pression à l’intérieur était réglée entre 1 bar et 1,3 bars.
Les Vigies: Vous avez une très bonne mémoire.
B: En cas de coupure de courant, une alarme très bruyante se déclenchait dans le blockhaus et le matelot de service devait prévenir les services de l’EDF de Saint-Renan. Les techniciens intervenaient le plus tôt possible pour rétablir le réseau électrique.
L’affaissement du dôme, qui se dégonflait lentement, aurait pu endommager l’antenne et déchirer le radôme. Nous devions alors monter dans la tour en passant par une trappe étroite. Il fallait rapidement disposer des protections en cuir sur l’antenne du radar.
L’alimentation électrique de secours était assurée par un groupe électrogène installé dans la batterie basse du fort du Minou. Il m’est arrivé d’y descendre deux ou trois fois.
D’après mes souvenirs, le dispositif conçu par THOMSON (Genevilliers) avait été recetté par la marine au début de mon service militaire. Le projet prévoyait la construction de quatre radars de ce type. Un au Cap Gris-Nez, un à Brest, (au Minou), un à Toulon et un autre dont je ne me souviens plus. Gris-Nez et le Minou étaient je crois, les seuls à fonctionner.
Des navires trop curieux !
Les pays de l’Est et ceux de l’Ouest se surveillaient. Nous étions encore dans cette période appelée « la guerre froide » Des navires trop curieux s’approchaient parfois de Brest. On craignait également que des avions viennent larguer des mines dans le Goulet.
Le radar devait permettre de surveiller les mouvements des navires à l’approche du Goulet. Des exercices avaient lieu de temps en temps. Un avion de la base de Lanvéoc survolait le Goulet à basse altitude. Il lançait à la mer de gros sacs de sable pour simuler un largage de mines.
Le radar était très efficace. L’impact des sacs de sable à la surface de l’eau était détecté.
Trois consoles (écrans radar) étaient installées dans le blockhaus. Une caméra placée au-dessus filmait l’écran durant le déroulement de l’opération. Le dispositif prévoyait qu’un opérateur récupère le film pour le développer rapidement dans un laboratoire photographique prévu à cet effet au deuxième niveau du blockhaus.
Les images de ce film devaient ensuite être projetées sur la table traçante. L’impact des «mines», des sacs de sable, devait permettre de localiser précisément la position du largage.
Il nous arrivait de présenter le fonctionnement du radar et de ce pc opération lors de différentes visites mais je n’ai jamais assisté au développement des films dans le labo photo. A notre niveau de responsabilité, notre fonction se limitait, la plupart du temps, à surveiller le site et contrôler la pression du radôme.
Vigilance, un site sous pression
Un week-end, alors que j’assurais le service, une personne en civil s’était présentée à la grille du fort. Il voulait rentrer.
C’est toi qui est de garde «petit» ?
Je lui avais demandé ses papiers. Heureusement que vous me les demandez, sinon, je vous foutais au trou! L’officier en civil me dit d’un ton sec: « Faites moi visiter ».
C’était le chef du service « TER » Transmissions-Ecoute-Radar.
Au cours de cette visite d’inspection inattendue, il me demanda encore si j’avais des jumelles?
Il s’attendait sans doute à ce que je lui présente une de ces grosses paires de jumelles marines. Nous n’en avions pas. J’avais cependant dans mon sac une petite paire que l’on pourrait qualifier «de jumelles de théâtre» empruntée à mes parents. Je tendis précipitamment à l’officier mes précieuses jumelles. Il fit un tour d’horizon et me les rendit sans aucun commentaire.
J’étais sauvé, mais était-il satisfait?
Je me souviens aussi d’une inspection du préfet maritime. Nous étions ce jour là en tenue de sortie et le second-maître avait rendu les honneurs.
Les Vigies: Avez-vous utilisé les anciens logements près du phare?
B: Non, nous assurions la garde dans le blockhaus. Une cabane en bois avait été construite par les ateliers des Travaux Maritimes au dessus du blockhaus. Nous nous étions procurés trois lits. Il nous arrivait de nous y installer pendant l’été.
Plus tard, sans pouvoir préciser la date, (1962-1963) j’avais terminé mon service militaire, une nouvelle maison avait été construite sur le terre-plein proche du blockhaus pour la famille du gardien de phare.
Les Vigies: Alliez-vous au fort de Toulbroc’h de temps en temps?
B: Assez fréquemment pour y prendre nos repas. Il n’y avait pas de sentier côtier. Il fallait s’y rendre par les chemins et par la route (environ 2,5 Km). Dans la vallée du Minou, l’escalier juste à côté de l’hôtel nous permettait de rejoindre le chemin qui surplombe la mer. Ce sentier doit correspondre aujourd’hui à la route de la Corniche.
Les Vigies: Avez-vous de bons souvenirs de ces deux années de service militaire?
B: Au fort de Montbarey, nous étions près de la ville. C’était plus pratique pour aller à Brest.
A Toulbroc’h, nous y allions prendre nos repas, mais nous étions chez les «Boum» (les canonniers) et nous avions peu d’affinités avec eux.
Au Minou, nous avions la responsabilité du radar, une grande autonomie et la présence du sympathique mais peu bavard Eugène, le gardien de phare.
Comme le bourg de Plouzané était loin, Il nous arrivait aussi de nous arrêter chez Madame CARRET qui tenait l’hôtel-épicerie de la vallée du Minou. Elle nous semblait très âgée mais, nous avions 20 ans. Sa petite boutique nous permettait d’améliorer nos repas.
La pêche au pied du phare nous offrait aussi de jolis poissons. Une palangre, quelques lançons en guise d’appât et parfois un bar était au rendez-vous. Nous avions notre petit coin cuisine pour améliorer l’ordinaire.
Remerciements
- A notre hôtesse qui nous a ouvert ses portes, organisé cette rencontre et si gentiment accueilli.
- A Bernard, jeune matelot en 1960 qui n’a rien oublié de ses 20 ans. (Si un jour vous avez l’opportunité de rentrer dans le blockhaus surtout, pensez à moi, j’aimerai beaucoup y retourner.)
- A Nadine qui nous fait profiter de sa collection de cartes postales et d’images rares sur le fort du Minou.
Une réflexion au sujet de « Un pompon rouge au Minou »