Enquête en cours : les berniques du Mengant

Cette publication est une nouvelle enquête participative des Vigies du Minou. Comme pour les autres enquêtes de ce type, nous vous proposons nos hypothèses, réflexions et questions sur un sujet particulier, et nous vous invitons à apporter vos contributions et idées via les commentaires en bas de l’article, ou par e-mail.

Le fort du Mengant (ou grande batterie du Léon) fut construit de 1684 à 1687 d’après des plans de Vauban, sous la direction de l’ingénieur Paul-Louis Mollart. Il est constitué d’une batterie haute, à 58 mètres au dessus du niveau de la mer, et d’une batterie basse, en demi-cercle, en bas de la falaise. Cette dernière était armée de 40 canons et servie par plus de 500 hommes.

Il y a quelques mois, une Vigie du Minou nous a signalé l’existence d’un relief particulier sur certaines pierres de la batterie basse du fort du Mengant.

Très rapidement les Vigies passionnés d’histoire se sont emparés de cette question, pour essayer de comprendre l’origine et la fonction de ces excroissances.

Comme d’habitude, les hypothèses préliminaires ont fusé. Des berniques fossilisées ont même été évoquées dans certaines discussions, sous la forme de clin d’oeil bien évidemment. Les berniques, ou brennig en Breton, sont des petits coquillages que l’on trouve en grand nombre, accrochés sur les rochers de la région, et que certains appellent même les « chapeaux chinois ».

Après de nombreuses recherches et plusieurs visites aux abords du fort à marée basse, trois hypothèses un peu plus solides ont commencé à émerger.

H1 : des signatures des tailleurs de pierre

Lors de la construction du fort du Mengant, un grand nombre de tailleurs de pierre a du être mobilisé. Les excroissances auraient pu être des signatures de ces tailleurs de pierre, qui auraient été payés à la pierre taillée. Le maître d »oeuvre aurait ainsi pu facilement rémunérer un tailleur, en comptant simplement le nombre de pierres avec « sa » signature dans l’ouvrage.

Cette hypothèse est aussi évoquée par Monsieur Louis Chauris, directeur de recherche au CNRS :

Les curieuses petites pustules, diversement disposées sur les pierres de taille de l’escarpe, pourraient représenter les marques distinctives des différents chantiers, facilitant ainsi les paiements.

Louis Chauris, Les forts de la défense avancée de Brest. : V, A Mengam. Un fort et un port. Dans « Pierres et constructions en Basse-Bretagne », Tome 3, 2006, p. 19.

Assez rapidement nous avons cependant abandonné cette hypothèse, car tailler des pierres en laissant dépasser ces excroissances représente un temps de travail considérable. Si à la place des pustules on avait eu des formes creusées dans la pierre (les marques lapidaires), cette hypothèse aurait pu davantage nous satisfaire.

H2 : un code pour déterminer la forme de la pierre et sa place dans l’édifice

La base du fort du Mengant est un édifice dont la géométrie est assez complexe (un cône dont la pointe a été coupée par un plan parallèle à sa base). On peut donc facilement imaginer que les pierres qui constituent ce cône particulier ont des formes assez spécifiques et ne sont pas tous des parallélépipèdes rectangles. En outre ces pierres sont extrêmement lourdes, et ne peuvent pas être manipulées « facilement » par le maçon pour déterminer juste avant la pose qu’il dispose bien de la « bonne pierre pour le bon endroit ». Lors de la construction de certains phares, les pierres pouvaient être taillées et numérotées à la carrière. Il restait aux appareilleurs et aux maçons sur le chantier à assembler les pierres conformément au plan qui avait été établi à l’avance.

Un code sur une des faces de la pierre aurait ainsi permis au maçon de rapidement déterminer s’il s’agit d’une pierre de la bonne taille et de la bonne forme pour s’insérer à l’endroit sur lequel il est en train de travailler.

Par ailleurs, on peut voir sur certains éléments tombées sur la grève que les pierres du fort étaient reliées entre-elles par un système de fixation métallique. A cette fin des encoches étaient taillées dans les pierres. Ce code aurait donc peut-être aussi pu renseigner le maçon sur la position de ces entailles.

Cette hypothèse se heurte malheureusement également à la complexité de la taille de ces excroissances. Une nouvelle fois, un code gravé dans la pierre aurait nécessité beaucoup moins de travail.

H3 : des éléments d’une guerre « psychologique » ou pour absorber l’énergie des projectiles

Une autre hypothèse est celle des « bossages » qu’on retrouve sur certaines fortifications. Un bossage, en architecture, est une saillie à la surface d’un ouvrage de pierre. Cette saillie est sculptée soit dans un but d’ornementation, créant un jeu d’ombre et de lumière, soit dans un but défensif, rendant le mur moins vulnérable aux attaques par boulets ou par sape.

Comme mentionné sur le site d’Archeo Alpi Maritimi, plusieurs hypothèses existent sur ces bossages.

Ainsi, si les bossages recouvraient bien de manière homogène tout le bâtiment, ils auraient pu servir à diminuer l’énergie cinétique de projectiles et ainsi à amoindrir leur effet. Or dans notre cas, les excroissances ne sont pas très importantes en taille, et surtout, ne couvrent pas de manière homogène la totalité du mur.

Cette fonction est aussi mentionnée par Philon De Byzance dans son Traité de Fortification de 1872 :

Extrait du Traité de Fortifications par Philon de Byzance, 1872, https://remacle.org/bloodwolf/erudits/philon/fortification2.htm

Une autre hypothèse mentionnée sur ce site propose plutôt un élément de guerre psychologique. Raymond Millon propose dans la Revue Lorraine Populaire[1]Raymon Millon, Le bossage en pustules, curiosité de l’architecture militaire médiévale, Revue Lorraine Populaire, n°196, juin 2007 que

« l’apparence de boulets encastrés dans une muraille de façon aléatoire devait avoir un effet dissuasif sur d’éventuels assaillants dotés d’une artillerie à boulets. Cela revenait à leur délivrer le message suivant : voyez nos murs, ils résistent à vos canons ; les boulets s’y encastrent et n’y font pas de dégâts. Il est inutile de nous assiéger, vous perdez votre temps. »

C’est actuellement l’hypothèse que nous retenons avec les Vigies du Minou.

Sur la presqu’île de Crozon, en face du fort du Mengant, on trouve à Camaret-sur-Mer une tour très connue, appelée de nos jour la Tour Vauban. Il s’agit d’une tour polygonale construite selon un plan de Vauban, sur le Sillon. En regardant cette tour de plus près, on s’aperçoit qu’elle est également « ornée » de bossages, en moins grand nombre que le fort du Mengant, mais bien visibles pour l’oeil averti. On peut les voir sur les 2 photos suivantes.

La tour Vauban de Camaret-sur-Mer, par Michael Rapp — Travail personnel, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=10873068
Détail de la tour, où l’on distingue bien les bossages. Photo originale par Michael Rapp — Travail personnel, CC BY-SA 3.0, https://commons.wikimedia.org/w/index.php?curid=10873068

Comme on peut le voir sur la dernière photo, certains « boulets » se situent au bord des pierres, ce qui militerait donc aussi pour cette hypothèse d’ornement et de guerre psychologique. Lors d’une attaque, les boulets ennemis viendraient s’incruster au hasard dans les pierres, et les positionner uniquement au centre des pierres, créerait probablement une impression trop artificielle.

Des certitudes, des hypothèses, et des questions ouvertes …

Nous avons tendance à ne pas nous satisfaire de solutions dont nous n’arrivons pas à prouver la véracité par un élément de preuve, comme un texte, un schéma, une photo ou une « réalité terrain ».

L’hypothèse de M. Millon a l’air très tentante, et nous pourrions facilement imaginer que Vauban ait poussé l’excellence de ses fortifications jusqu’à des aspects de guerre psychologique.

Il serait toutefois tout à fait envisageable qu’une autre piste existe, et qui dort peut-être quelque part dans vos archives ou livres sur le patrimoine historique.

On se demande notamment si ces bossages existent sur d’autres bâtiments imaginés par Vauban, en France ou en Europe. Ou alors s’il s’agit d’une spécificité locale des fortifications de Vauban de la pointe du Finistère, ajoutées par les ingénieurs en charge de leur construction.

Chère lectrice, cher lecteur, si vous avez des éléments pour soutenir nos hypothèses (ou pour, au contraire les infirmer), n’hésitez pas à nous contacter via les commentaires en dessous de l’article, ou par e-mail.

Réferences

Réferences
1 Raymon Millon, Le bossage en pustules, curiosité de l’architecture militaire médiévale, Revue Lorraine Populaire, n°196, juin 2007

5 réflexions au sujet de « Enquête en cours : les berniques du Mengant »

  1. J’ai vraiment hâte de résoudre définitivement cette énigme ! Si vous voulez d’autres photos de cette muraille bosselée demandez… J’en ai pris quelques unes.

  2. Bonjour, il y a un an lors d’une balade sur le sentier cotier j’avais echangé avec quelqu’un des Vigies sur ce sujet. Il y a 15 ans lors d’une balade en kayak j’avais également remarqué ces « pustules » au niveau de la digue. Ce qui m’intrigue le plus c’est la quantité de travail qu’aurait demandé la taille de ces bossages. Pourquoi tant d’efforts … la main d’oeuvre n’etait pas chére mais quand meme. On avait évoqué d’eventuelles marques de tacheron (repetition de motifs identiques etc..) mais bon pourquoi ne pas graver en creux ? Bref on n’est pas pret d’avoir une certitude.
    Superbe enquete en tout cas ! Bravo.

    1. Merci pour ce commentaire intéressant … nous sommes toujours à la recherche d’indices permettant de valider l’une ou l’autre des hypothèses.

  3. Bonjour.
    Un agent du service des infrastructures de La Défense me signalait ,lorsque l’on était au pied de ce mur, que lors de sa formation on lui avait enseigné que des appendices de ce type étaient des déflecteurs de vagues.

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