La rôtisserie du Minou

La gastronomie s’empare d’un site stratégique

Architecte militaire, Sébastien le Prêtre marquis de Vauban signa d’un geste expert et vif le plan que lui présentait l’ingénieur Mollart.  Dix canons et deux mortiers allaient désormais armer la pointe du Minou. 

Par cette griffe, la sentinelle du goulet venait de s’engager, ce 23 ème janvier de l’an 1696, dans le dispositif de défense des frontières maritimes du Royaume de France. Le Minou devenait dès lors, un des maillons de la redoutable ceinture de fer.

Le Minou, dans ses précédentes batailles, avait déjà essuyé une multitude de tempêtes. Les voiles menaçantes des escadres ennemies claquaient au vent, tiraient des bords sous ses remparts. Cependant, ni les flibustiers de la perfide Albion, ni ses fantassins ne s’empareront jamais du fort. 

Plan de la redoute du Minou – 1695 – La caserne n’apparaît pas encore.
(Source : Service Historique de la Défense)

De profondes et larges douves, d’abruptes remparts plaçaient la Redoute à l’abri des attaques. Le pont levis était son point faible. Du haut de la colline, toute proche, nommée « Torquen ar Minou » (le ventre du Minou), gourmand, réfléchissait déjà au moyen de faire entrer son cheval de Troie et quelques provisions dans la place forte.

C’est sur un plan de 1867 conservé aux archives militaires du fort de Vincennes qu’apparaissent les premières traces d’un bâtiment construit à l’emplacement de ce qui deviendra la rôtisserie du Minou.

Plan du fort du Minou 1867 – En A, la caserne magasin d’artillerie – (Source : Service Historique de la Défense Vincennes)

La Der des Ders, devait mettre fin à toutes les guerres et à la longue carrière militaire du château Minoux. A la fin de la première guerre mondiale, en 1919, le fort du Minou est démilitarisé.

Un restaurant dans un fort militaire

1921, le chef, Edmond Torchio et son épouse Dalila, armés de leurs batteries de casseroles, d’un coup de torchon, dispersèrent les dernières fumées des canons ! Ils eurent alors l’opportunité de franchir le pont levis. La gastronomie s’emparait à son tour du Minou.

L’entreprise était audacieuse pour oser transformer l’inconfort de l’ancienne caserne abandonnée, en hôtel restaurant.  Mais, la paix revenue, le tourisme allait à nouveau se développer. Le tramway de Brest au Conquet inciterait les voyageurs à découvrir la plage. Le panorama, déjà exceptionnel, de la pointe du Minou arborant fièrement son phare attirerait, c’était certain, les clients. 

Fort du Minou, le pont levis – Collection hôtel du Minou – (Source : collection privée)

Edmond et Dalila avaient murement préparé leur projet, prêts à faire exploser nos papilles, en allumant leurs fourneaux sur une ancienne poudrière. 

Indiscrétions généalogiques, qui étaient nos aventuriers de la gastronomie?

Le fabuleux destin d’Arzelie POULAIN, des filatures de Picardie à l’hôtel étoilé du Minou

Arzélie POULAIN est née en 1868 dans le département de l’Aisne. 

Son père Alexis est tisseur dans une filature. Il a 26 ans lorsqu’il épouse Marie-Joseph ANCELET. La jeune mariée vient juste de fêter ses 19 ans. 

De ce couple, naîtront 17 enfants. Marie-Joseph, la courageuse maman, sera tour à tour ménagère puis dévideuse à la filature lorsque, entre deux grossesses, les nécessités l’obligeront à reprendre du travail à l’usine pour gagner quelques sous et élever cette grande famille. 

Arzélie est la seizième enfant issue de ce couple d’ouvriers de l’industrie textile du Nord-Est de la France. Ses frères et soeurs n’ont malheureusement pas tous survécus, décédés pour certains en très jeune âge. 

Comme dans toutes ces familles, de père en fils, en filles, il est probable qu’Arzélie ait également travaillé quelques temps aux filatures. 

En 1896,  à Paris, Arzélie POULAIN épouse Edmond TORCHIO. Elle a 28 ans, lui 22 ans.  Arzélie est domestique dans une grande maison du boulevard Pereire. Edmond exerce la profession de cocher. Il est dit domicilié à quelques pas, au 132 du même Boulevard.

Entre les lignes de l’acte de mariage paraphé par Vittario Marco Antonio Tanburinni adjoint au maire de Paris, 17 ème arrondissement, irions nous jusqu’à imaginer la rencontre du cocher et de la femme de chambre, sous un porche du même boulevard où, sur un banc du parc voisin? 

Quitter la misère des filatures, une nouvelle vie commence pour Arzélie. Au bas de leur acte de mariage, la jeune épousée signe d’un D majuscule. Un nouveau nom et, pour l’occasion, la jeune mariée adopte son deuxième prénom comme prénom d’usage. Arzélie POULAIN sera désormais Dalila TORCHIO.

Edmond,  le jeune marié, est né en 1874 dans le Loiret. 

Il est le fils de Thomas TORCHIO glacier à Paris et de Clémentine SIX couturière.

Quittant Paris puis demeurant à Lyon, Edmond et Dalila arrivent à Plouzané vers 1921

1922: Une petite annonce dans la revue du Touring Club de France propose: Près de Brest, plage du Minou, hôtel avec cuisine de 1er ordre, 17 francs tout compris – Torchio – Minou – Saint-Renan (Source gallica.bnf.fr / BnF)

Le premier avril 1926, l’agent chargé du recensement de Plouzané se présente chez Edmond TORCHIO et son épouse, Dalila TORCHIO hôteliers au Minou. Une jeune fille de 15 ans, Françoise Vigouroux y est déclarée domestique.    

Entrées, plats, desserts: Les menus et grands événements

De 1922 à 1940, Les articles parus dans la presse, les déjeuners et dîners officiels, un florilège de menus tous plus appétissants aiguisent notre appétit et notre curiosité.

La Dépêche de Brest – Repas à thèmes animés par l’orchestre de Devil Duval et ses Six boys –
Illustrations dessinées par Pierre PERON (Source gallica.bnf.fr / BnF).

La renommée est au rendez-vous, « Les petits plats dans les grands »:

Le 28 juillet 1938, L’Ouest-Eclair témoigne de la visite à Brest du Ministre de la Marine accompagné de tout un cabinet de personnalités.

Un invité de marque, le Ministre de la Marine dîne au Minou, 1939, l’Ouest-Eclair (Source gallica.bnf.fr / BnF)

Le Ministre  de la Marine Mr Campinchi, visite l’arsenal de Brest, préside la remise du drapeau à une nouvelle promotion d’élèves de l’Ecole Navale, monte à bord du Richelieu alors en construction, remet la légion d’honneur à un chef d’équipe charpentier, au pied de l’établi, dans les ateliers de l’arsenal. Une réception à la préfecture est donnée par le Préfet Maritime. Ce voyage officiel à Brest, pour cette délégation du gouvernement, sera également l’occasion d’un dîner à la rôtisserie du Minou offert par le Ministre.   

Des menus riches et variés (mais pas de kig ha farz)

La Dépêche de Brest 1938 – Il est prudent de réserver – Demander à l’opératrice, le 3 à Plouzané Rôtisserie du Minou (Source gallica.bnf.fr / BnF)

L’hôtel du Minou soigne sa publicité, édite des cartes postales : Deux étoiles au guide Michelin. Le restaurant est désormais référencé parmi les bonnes tables du Finistère.

Guide Michelin 1939 – Cartes postales du Minou (source : collection privée)
Publicité Hôtel du Minou (Collection privée)
La Dépêche de Brest – M. Le Chat préside le banquet des pharmaciens au Minou ! (Source gallica.bnf.fr / BnF)

Le Minou fait son cinéma

Quelques rares cartes postales nous permettent de découvrir le salon et la salle de restaurant du Minou. C’est peut être à travers la reconstitution de son décor au studio cinématographique de Billancourt que nous pourrions imaginer l’ambiance qui y régnait.

Jean Grémillon et son photographe René-Jacques sont en repérage à Brest en février 1939 pour la réalisation du film Remorque. 

C’est précisément le restaurant du Minou à Plouzané qui attirera leur attention pour réaliser la scène du repas de mariage interrompu par l’annonce de la réception d’un SOS.  Jean Gabin, le capitaine du Cyclone doit rejoindre d’urgence son remorqueur prêt à appareiller.

Madeleine Renaud, Michèle Morgan, étaient également à l’affiche. 

Evidemment, nous sommes à la recherche de photographies témoignant de cet épisode cinématographique. 

Nous avons eu le privilège de consulter il y a quelques jours une collection privée montrant une vue extérieure et inédite de la rôtisserie du Minou. Nous y découvrons une immense verrière jusqu’alors inconnue qui vient enrichir nos archives. (Grand merci à notre correspondante du Conquet)  

Le fort du Minou et son restaurant en 1939 (Source : Collection privée)

Selon nos sources, le chef et son épouse habitaient dans la petite maison sur la gauche de cette photographie. Le plan de 1867 désigne déjà cette maison comme logement de l’officier et du gardien du fort. Un jardin (à gauche) s’abritait derrière le rempart de Vauban. Le blockhaus allemand y fut construit en 1941.

Le décor minutieusement reconstitué aux studios cinématographiques de Billancourt

Studios cinématographiques de Billancourt, 1939, Le restaurant du Minou (Collection privée)
La Dépêche de Brest, 19/01/1939 (Source : Bibliothèque Yroise)

Edmond Torchio ouvre un nouveau restaurant à Brest. L’architecte Gaston Chabal et le décorateur Brestois Jean Lachaud, célébrités locales, y apporteront leur compétence et leur talent.

Archives cinématographiques

Persée: La production de Remorque Jean Berthomé 1997

(1895 Revue d’histoire du cinéma): 

Juillet 1939: Après le tournage des scènes d’extérieur à Brest, le temps est venu  pour les cinéastes de regagner la capitale où tous les intérieurs seront filmés en studio. On a retenu le grand studio de Billancourt, ces cinq plateaux et un terrain d’extérieur de 2500 mètres carrés où Trauner a reconstitué le spectaculaire décor ou s’ouvre Remorque, celui du restaurant du Petit Minou bien connu des Brestois, avec sa salle de banquet, ses cuisines, sa salle de bal et sa cour. Un immense décor qui mobilise deux plateaux et une grande partie du terrain d’extérieur. 

NDLR: (La noce du Petit Minou est tournée le 11 août 1939 mais, dans les studios de Billancourt.) Cependant, Jean Grémillon et son photographe sont venus au Minou en ce début d’année 1939 pour effectuer les premières prises de vues.

D’autres trésors photographiques seraient peut-être encore à découvrir dans le fonds Grémillon ou la collection du photographe René-Jacques dit Gitton?  

L’EXCELSIOR – Journal illustré quotidien 12 08 1939:  (source BNF Gallica)

JEAN GABIN ET MICHÈLE MORGAN DANS UNE SCÈNE TOURNÉE AU LARGE DE BREST POUR LE FILM « REMORQUES », QUE RÉALISE JEAN GREMILLON.

Le Petit Minou n’est pas le nom d’un chat, c’est le nom d’une fort pittoresque auberge bretonne où l’on célèbre aujourd’hui un grand mariage. Autour de la mariée et du marié se pressent de nombreux visages connus : Jean Gabin, Madeleine Renaud, Nane Germon, Blavette… On tourne au studio de Billancourt la scène qui ouvrira le film Remorques que Jean Grémillon a commencé il y a environ un mois au large de Brest :

Le décor est immense et Trauner, qui a passé les quinze derniers jours à surveiller son édification, a l’air fort content de lui. Il y a de quoi, le tout occupe la place de deux plateaux, soit près de 7.000 mètres carrés. Ne demandons pas le prix qu’il a coûté, le producteur pâlit encore en y pensant. 

Il représente la grande salle à manger de l’auberge et toutes les dépendances : les cuisines où un chef effondré de chaleur contemple sans fierté un immense poisson, des homards, un pâté en croûte . /. toutes les pièces annexes, chambres meublées à la hâte à coups de bahuts bretons et de faïences de Quimper.

Dans le scénario du film, la noce sera successivement interrompue par la pluie puis par un S. O. S. d’un navire en perdition. Gabin partira aussitôt avec tout son équipage à la recherche d’un navire hollandais qu’il essaiera de remorquer jusqu’au port en pleine tempête.   H. AMSLER.

Pour-Vous:  Revue cinématographique du 26 juillet 1939

(La cinémathèque de Toulouse – Bibliothèque numérique) 

La bibliothèque numérique cinématographique de Toulouse permet de télécharger d’anciennes revues consacrées au cinéma. L’édition du 26 juillet 1939 dont deux pages sont consacrées au tournage du film Remorque à Brest. « Juillet 1939, Il pleut 4 fois par jour. A l’hôtel Continental où sont descendus les acteurs, Gabin porte une serviette éponge autour du coup. L’air est trop humide ici, il a peur de s’enrhumer. Le producteur lui commande aussitôt un grog ».  Et si son acteur principal perdait sa voix, le tournage du film devrait être reporté.

La fin d’une époque, la guerre approche!

Les militaires vont de nouveau s’emparer du Minou, mais cette fois, ils sont allemands!

Le bruit des bottes et de la guerre qui approchent confirmeront bientôt les craintes de M. Loukachevicht le producteur et de Jean Grémillon. Il faut interrompre le tournage du film.

Le 1er septembre 1939 la Wehrmacht envahit la Pologne.

Le 3 septembre la guerre est déclarée.

Le 19 juin 1940, les troupes allemandes entrent dans Brest.

Le fort du Minou qui n’avait plus que sa gastronomie pour défendre son honneur et sa réputation sera à son tour envahi par les troupes allemandes. Le pont levis sera remplacé par un pont en béton.

Sa bretèche, surplombant l’entrée du fort, porte encore aujourd’hui les traces du V (Victoria) dont l’armée allemande voulu s’attribuer la paternité.

 https://www.lesvigiesduminou.bzh/index.php/2022/05/05/enquete-en-cours-le-v-du-fort-du-petit-minou/

En 1939 un officier allemand ainsi que des musiciens occupaient le fort du Minou. Nous en reparlerons!

Edmond Torchio est décédé à Plouzané en octobre 1941, il avait 67 ans.

Le fort du Minou sera délivré en septembre 1944 par les troupes américaines, après de vifs combats. Ces attaques pour reprendre le terrain, furent précédées des raids aériens de l’aviation alliée. Le fort y perdra ses deux caponnières, (tours de défenses des fossés) Est et Ouest. Imperturbable, le phare et ses gardiens ne furent pas touchés.

Sur ces terrasses on s’attardait volontiers, avant guerre, à prendre un verre face à la mer regardant le phare et les bateaux passer.

La terrasse bombardée disparue, Collection hôtel du Minou (Source : Collection privée)

De l’hôtel restaurant rôtisserie du Minou, il nous reste aujourd’hui le souvenir de ses deux étoiles attribuées par le guide Michelin vers 1935, de nombreux articles témoignant de ses appétissants menus, de ces réceptions officielles, plusieurs cartes postales évoquant des séjours très agréables. 

En franchissant sa poterne aujourd’hui, prenez garde, là, juste sur la gauche en entrant. S’il vous arrivait parmi une douce envolée d’embruns salés de deviner comme un parfum subtil de volaille à rôtir. Tendez l’oreille, imaginez les cliquetis de la broche devant la cheminée. Vous avez réservé? Il est bientôt midi.  

Carte postale collection de l’hôtel du Minou, (Source : Collection privée)

Soyez cependant rassurés, ce n’est sûrement que l’esprit gourmand des marmitons du chef Torchio qui viennent vous taquiner. Ils n’avaient d’autres envies, devant ce décor, que de vous mettre en appétit. 

PS et confidences: Lors de leurs recherches et enquêtes sur le terrain, les Vigies ont retrouvé, sous le pont, le vivier à homards (vide). L’emplacement de la cave à vins reste encore un mystère.

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